Zéro artificialisation : comment préserver la biodiversité tout en améliorant le cadre de vie des habitants ?

 

Depuis 2011 et son rapport intitulé : « Lignes directrices pour limiter, atténuer ou compenser l’imperméabilisation des sols », l’Union Européenne exhorte ses Etats Membres à rationaliser l’utilisation des terres et du sol en valorisant les bonnes pratiques permettant d’atténuer les effets de l’imperméabilisation sur les fonctions des sols.  Elle recommande que d’ici à 2020, les politiques de l’UE tiennent compte de leur incidence sur l’utilisation des sols, de façon à « éviter toute augmentation nette de la surface de terres occupée » d’ici à 2050. C’est le concept de « zéro artificialisation des sols » repris aujourd’hui par un certains nombre de Gouvernements et de grandes collectivités locales dans les documents de planification.

Pourquoi 2050 ? Il s’agit de l’asymptote de la population européenne (513 millions d’habitants prévus), ce qui en fera le troisième continent en densité mondiale, après l’Inde et la Chine. La Commission Européenne estime que 9% de ses terres seront alors urbanisées.

L’Europe vise 4 objectifs :

  • Maintenir le stock de terres arables pour la sécurité alimentaire
  • Maintenir la biodiversité pour assurer la santé des humains
  • Permettre le stockage du carbone grâce à la culture
  • Favoriser l’adaptation climatique grâce à la qualité des sols

Quelle incidence sur les réglementations françaises ?

A la lecture des recommandations on constate qu’elles ont une incidence directe sur nos textes de lois et qu’elles sont parfois reprises pour la plupart telle quelle par les pays membres.

À titre d’exemple, les ORT et le Plan Action Cœur de Ville issus de la loi ELAN (2019) étaient déjà encouragées dans ce rapport 8 ans auparavant : « La loi danoise sur l’aménagement du territoire impose des restrictions claires à la construction de grands magasins et centres commerciaux sur des espaces naturels, agricoles ou forestiers à l’extérieur des grandes villes et encourage les petits commerces de détail dans les villes petites ou moyennes, contrebalançant ainsi l’implantation d’habitats dispersés dans les régions rurales où la population est en repli. »

C’est aussi le cas de la question des friches où les pistes de réformes actuellement en réflexion devraient faciliter l’action des opérateurs dans les secteurs stratégiques de renouvellement urbain et de mutation des friches industrielles et commerciales. Le rapport prône ainsi :

  • Une augmentation des aides publiques en faveur de la réhabilitation des friches
  • Un décloisonnement public-privé de la logique de financement des projets sur les friches « En Flandre, des contrats spécifiques sont négociés entre le gouvernement et les investisseurs privés, afin de promouvoir le réaménagement des friches industrielles. »
  • Un soutien des États-membres envers les opérateurs pour dépolluer et garantir le portage des friches (exemple allemand)

 

 Position de l’UNAM vis-à-vis de ces prescriptions et du cadre fixé :

De fortes disparités de pratiques et de besoins

Les plus grandes consommations de terres se font en zones très détendues, là où l’activité agricole est la plus importante et les prix les plus faibles : les habitants y prennent leurs aises mais cela pèse sur les statistiques nationales.  Inversement les métropoles de l’arc Ouest – Sud Sud-Est connaissent une forte croissance urbaine. Les villes centres prennent leur part mais la moitié voire les deux tiers de l’urbanisation se situe dans les périurbains de ces métropoles. L’approche nationale qui tire des moyennes sera donc inefficace ou contreproductif.

Les politiques environnementales doivent répondre à deux enjeux urbains majeurs : la qualité du cadre de vie et le coût des logements

La volonté de concentration urbaine oriente les politiques foncières sur des secteurs déjà chers et par nature contraints. De plus, il faut rappeler que le collectif est 30 à 50% plus coûteux en matière de production de logement. Ces politiques de densification engendrent des phénomènes d’augmentation des prix du logement et une réduction des surfaces habitables. Comme l’explique très justement le rapport de l’Union Européenne : « Le prix élevé des terrains à l’intérieur des limites des villes encourage l’implantation de nouvelles zones résidentielles ».

C’est pourquoi, il est essentiel que les politiques en faveur de la biodiversité et la préservation des sols ne deviennent pas une contrainte pour les européens, mais un élément valorisant leur cadre de vie, un atout pour les villes. Il faut le rappeler la densité n’est pas bien perçue par les habitants qui craignent pour leur qualité de vie au quotidien. À ce titre, l’UNAM rejoint le constat de la Commission Européenne : « le dépeuplement des centres villes au profit des zones périurbaines peut s’expliquer par la volonté de bénéficier d’un environnement plus vert, plus attrayant et plus propice à la vie de famille ». Au XIXème siècle, de nombreux Français étaient déjà attirés par les « Cité-Jardin ».

L’aménagement : une solution pour organiser l’espace et limiter la consommation des sols

L’aménagement est une solution pour lutter efficacement contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. En effet il permet de rationnaliser l’organisation de l’espace tout en répondant aux nouveaux besoins en matière de logement. Il offre une qualité de vie et une mixité des fonctions qui permet aux habitant de « faire société ». De plus, l’aménageur paie les infrastructures et participe souvent aux équipements.

Au contraire, la construction non organisée (divisions foncières à l’unité par certificats d’urbanisme, déclaration préalables) en quartier, dite « en diffus », est trois fois moins dense que les opérations d’aménagement. D’après le récent rapport de la députée Anne-Laurence Petel, 41% du sol est artificialisée par le « diffus » contre 13% en aménagé. L’autre moitié se fait en continuité de bâti ou en renouvellement urbain. Or, la densité est souvent perçue à travers la dispersion de bâtis hétérogènes sur le territoire. C’est cette dispersion qui représente 80% du bâti en France, contre 20% d’aménagé. En outre, contrainte par les lois de limitation de l’urbanisation cette part baisse, car les documents de planification suppriment des zones d’aménagement cohérentes au bénéfice de la dispersion qui passe inaperçue dans les territoires, tout en aidant de nombreux propriétaires fonciers.

Redynamiser des territoires et encourager les opérateurs à réaménager l’existant pour limiter le risque et le coût des opérations 

Si l’émergence de grands centres urbains régionaux a permis de développer des locomotives économiques, politiques et administratives, beaucoup de Français restent étrangers à leur réussite. Les logiques de densification urbaine doivent être compensées par des politiques d’équilibre territoriale qui facilitent une décentralisation des bassins d’emplois autour des villes moyennes et des bourgs dynamiques. On dit toujours qu’il faut rapprocher l’habitat de l’emploi mais on ne fera pas déménager par la force toute une partie de la France. Alors pourquoi ne pas envisager plutôt de rapprocher l’emploi de l’habitat ?

Par ailleurs, la volonté des pouvoirs publics de réaménager des emprises abandonnées plutôt que d’utiliser des sols agricoles ou naturels est une idée de bon sens qu’il faut encourager. Cependant les coûts de démolition et de dépollution ont un impact sur le coût final du logement et sur le risque pris par l’opérateur. Le rapport de la Commission Européenne l’indique : « dans certaines régions, les incitations à la réutilisation des friches industrielles sont insuffisantes, ce qui accroît la pression qui s’exerce sur les espaces naturels, agricoles ou forestiers. ». L’UNAM sera donc attentive à ce que de véritables moyens et une sécurité soient donnés aux opérateurs qu’ils puissent réaliser des opérations accueillant des logements de qualité et accessibles financièrement à toutes les typologies de ménages.

Un problème structurel demeure : la plupart des friches industrielles se situent dans l’Est et le Nord de la France alors que les secteurs les plus dynamiques démographiquement sont à l’Ouest et au Sud. Les friches commerciales, notamment en entrées de villes, pourraient devenir un autre nouveau levier stratégique pour développer certains territoires de même que les « secteurs gares » dans les territoires péri-urbains desservis par les transports en communs et où le foncier est important.

 

Passer d’une logique de consommation des sols à une logique d’usage : pour un nouveau modèle de Transition Urbaine

Murs végétalisés, parcs urbains, haies champêtres, de nombreuses initiatives en faveur de la nature en ville se développent déjà dans les opérations d’aménagement et démontrent l’impact positif que peuvent avoir les nouveaux projets sur l’environnement. Mais il faudra aller plus loin pour réaliser des opérations véritablement durables en :

  • Anticipant les opérations en lien avec l’aménagement du territoire
  • Accueillant des parcelles d’agriculture urbaine pour favoriser les circuits courts
  • Plantant les espèces paysagères les plus adaptées au climat et à son évolution
  • Ayant une réflexion sur les meilleurs pratiques pour éviter les îlots de chaleur urbaine
  • Introduisant une biodiversité locale pour qu’elle puisse s’y développer sereinement
  • Négociant avec la collectivité les équilibres entre foncier et équipements publics
  • Accueillant des commerces de proximité et des services selon la taille de l’opération
  • Proposant une place nouvelle à l’automobile et à la mobilité douce

En proposant un cadre de vie qui améliore le quotidien de chacun plutôt que de le dégrader, ce modèle de Transition Urbaine que nous défendons doit être la clé pour rendre la densité supportable et désirable.  

L’échelle des projets est essentielle pour permettre une qualité d’opération : mixités des formes, des fonctions et des services. En matière d’innovation il faut rappeler que les petites échelles ne permettent que des petites réponses. Si on urbanise des confettis on n’aura jamais qu’un patchwork. Au contraire, avec un vrai quartier on crée de la complexité, des services, des écoles etc. Encore faut-il un certain seuil qui permette de la complexité, un seuil de population, un effet de levier sur le foncier pour financer les équipements publics significatifs.

L’opération d’aménagement du futur ne devra pas être une opération consommatrice de ressources mais une opération régénératrice de biodiversité et de nature. Une opération au sein de laquelle l’habitant est intégré aux dynamiques de son territoire et où il bénéficie d’un cadre de vie agréable.

C’est le modèle de transition urbaine que promeuvent les aménageurs.

 

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